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Que
nous enseigne la découverte freudienne? En premier lieu elle
nous enseigne sur le symptôme. Et cela grâce au fait que Freud,
à l’orée de la psychanalyse, s’est mis à écouter ceux et celles
qui souffraient d’un symptôme, les hystériques notamment, leur
donnant la parole. Et à partir de là, il s’est avéré que les
symptômes dont souffraient les hystériques voulaient dire
quelque chose. Dans ce sens, la psychanalyse est venue annoncer
que, dans tout symptôme, il y a un message qu’il s’agit de
déchiffrer.
On
déchiffre le message du symptôme et que découvre-t-on? On
découvre que le sens du message est un sens sexuel. Cette
découverte met en lumière d’abord, que la sexualité n’est pas
seulement là où l’on croit, dans l’espace de l’étreinte
amoureuse, mais que, plutôt, la topique de la sexualité déborde
la relation sexuelle, logeant au plus intime du champ du
symptôme. En conséquence il s’avère que dans le symptôme,
s’accomplit une intention de signification, sous les espèces
d’un message chiffré. C’est ce qui veut dire, le symptôme, sous
le versant de la signification sexuelle. Il est donc question
ici de la sexualité qui parle à travers la souffrance du
symptôme. La conséquence a été donc, – la conséquence de cette
découverte freudienne, qui suit l’élan de l’intuition de Charcot
que dans les symptômes il s’agissait de secrets d’alcôve – la
conséquence de cette découverte freudienne, c’est que la
sexualité n’est plus muette On lui a donné la parole. Alors, il
s’avère qu’elle parle. Elle dit des choses. Elle les dit non
seulement à travers les symptômes, mais aussi dans les lapsus,
dans les mots d’esprit. Ils s’avère dès lors que ce qu’elle dit,
répond non seulement sur versant de la souffrance du symptôme,
mais aussi qu’elle s’exprime dans le registre du comique. Si le
comique fait rire, c’est parce que la sexualité, voire le
phallus, est dans le coup.
Alors, elle parle, cette sexualité, mais elle parle à côté de la
plaque ! Elle parle là où elle ne devrait pas parler.
C’est-à-dire qu’elle parle pour faire souffrir. Pour faire
souffrir dans le corps – le cas de l’hystérique – pour faire
souffrir au niveau des pensées – le cas de l’obsessionnel.
Dans un deuxième temps il s’est avéré que les symptômes non
seulement veulent dire quelque chose, mais que dans les
symptômes s’accomplit une satisfaction. Là où ça fait mal, là où
l’on souffre, là où l’on pâtit, c’est là que l’on se satisfait.
C’est pourquoi il est si difficile de se défaire de la
souffrance du symptôme, qui assure au sujet une satisfaction
cachée. Une satisfaction de quoi? Une satisfaction d’une
exigence, de l’exigence pulsionnelle. Au fond, il s’agit d’une
satisfaction érotique, déplacée, camouflée, assurant un
compromis entre l’universel de l’idéal et la revendication de
jouissance. A cet égard, nous n’avons qu’à considérer les
scrupules de l’obsessionnel, là où il se montre consciencieux,
parfait homme de devoir, pour s’apercevoir que derrière la
couverture de la conscience, de la culpabilité, se masque une
satisfaction pulsionnelle, telle que le sadisme anal. On peut
aussi considérer, par exemple, le symptôme de conversion
hystérique, là où un organe dérange, pour s’apercevoir, grâce à
l’analyse, que cet organe, s’il dérange l’homéostase du corps
chez une femme, c’est parce qu’il est érotisé, car il parle une
langue qui n’est pas celle qui correspond à sa fonction
d’organe. Par exemple, qu’est-ce qu’un intestin vient faire
quand il se met à se tuméfier et à faire mal? Ce n’est pas sa
fonction de se tuméfier comme ça et de faire mal! Pour qui il se
prend? Eh bien, il se prend pour un phallus. Et voilà, comme il
se met à parler se faisant le siège de la signification
phallique, il n’accomplit pas convenablement sa fonction
d’intestin, et il fait symptôme. Mais pour déchiffrer ces
messages, il est nécessaire, bien entendu, de suivre une
expérience analytique pour mettre à jour la satisfaction
pulsionnelle chiffrée dans les symptômes.
Or,
si la psychanalyse est venue mettre le doigt sur le fait que la
sexualité déborde l’espace de la relation sexuelle, elle nous
apprend aussi que la sexualité déborde le temps de la relation
génitale, dès lors qu’elle a mis à ciel ouvert la sexualité chez
l’enfant. Ce qui de nos jours semble aller de soi, mais dont ce
n’était pas le cas au temps inaugural de Freud. Désormais
personne ne met en doute qu’il y a une sexualité infantile et
qu’il y a une jouissance sexuelle chez l’enfant. C’est-à-dire
qu’il y a chez l’enfant des satisfactions, des émois, voire un
érotisme lié à des zones érogènes du corps; et chez l’enfant, il
s’avère que cet érotisme et ces satisfactions corrélatives se
passent fort bien du rapport du corps au corps de l’autre.
Donc, de ces deux points, il se déduit – de ces deux points que
je viens de mentionner devant vous rapidement: c’est-à-dire
qu’il y a une satisfaction sexuelle qui s’accomplit dans le
symptôme et qu’il y a une satisfaction sexuelle qui s’accomplit
dès l’enfance – de cela il se déduit qu’il y a de la jouissance
sexuelle, en dehors et ailleurs que dans la relation sexuelle
proprement dite. Et il y a de la jouissance sexuelle parce qu’il
y a des corps sexués. S’il n’y avait pas de corps, il n’y
aurait pas de jouissance. La condition de la jouissance, c’est
d’habiter un corps vivant. Pour jouir, il faut un corps. Pour
jouir, il faut avoir un corps. C’est-à-dire qu’il y a des corps,
et ces corps, ce sont des corps sexués. C’est l’essentiel de la
découverte freudienne.
Alors, la thèse de Lacan là-dessus, comme l’a mis en évidence
Jacques Alain Miller, est la suivante: avoir un corps n’est pas
un fait biologique. Avoir un corps est une conséquence du fait
que nous habitons dans le langage. De cela se déduit que le
corps sera d’une part identifié comme étant le corps propre,et
d’autre part il sera identifié comme étant sexué, c’est à dire
rangé du côté masculin ou du côté féminin. Si le corps peut être
différencié comme étant Un, et si cet Un s’inscrit dans le
registre de l’avoir, c’est parce que nous avons été parlés.
C’est-à-dire que si nous n’avions pas été submergés dans un bain
de langage, ce n’est pas sûr du tout qu’on aurait pu avoir un
corps identifié comme corps propre.
Certaines manifestations cliniques qui se décèlent au cours de
l’enfance, permettent aux cliniciens de constater une série des
phénomènes qui témoignent que certains enfants n’ont pas un
corps. Ces manifestations sont très variées, mais on peut citer
en exemple le cas de l’enfant qui ne s’identifie pas comme étant
un garçon ou une fille, ou bien les enfants qui passent devant
le miroir sans se reconnaître, ou bien des enfants qui peuvent
traverser l’espace sans différencier dans l’espace leur unité
corporelle et celle des autres, ou bien les enfants qui ne
disposent pas dans leur vocabulaire du “je”, ni du «moi» pour se
désigner, et qui n’ont pas d’avantage d’identité lexicale pour
désigner l’autre comme étant leur semblable. Ces manifestations
cliniques témoignent d’un rapport impossible au corps propre en
termes «d’avoir un corps», et caractérisent le cas de psychose
chez l’enfant. Le type de désordre dont ils pâtissent sont
attenantes à la façon dont ils ont été accueillis dans le
langage ne leur permettant pas de se différencier en tant que
corps.
Ce
qui prouve que, pour les êtres parlants, ce n’est pas la
biologie qui décide de leur destin. C’est plutôt l’ordre du
symbolique, l’ordre du langage. C’est pourquoi le corps est une
entité, une unité, qui se découpe grâce au langage; et en même
temps, ce corps, il est traversé par les paroles, par les mots
de la langue maternelle, celle qui nous a accueillis à la
naissance. C’est la langue dans laquelle on a été parlés et dont
on a dit de nous, avant qu’on naisse, des tas de choses. Or,
s’il y a bien eu un discours qui nous a précédé, aussi, pour
chacun il y a eu un désir qui l’a bien précédé, au sens d’avoir
été désiré ou pas. Dans l’ordre des conséquences il est bien
différent d’avoir été accueilli comme étant l’incarnation d’un
désir ou comme étant un accident plus ou moins encombrant. Selon
ces considérations, bien avant que le corps vienne au monde
comme vivant, il a été marqué par les incidences du désir,
duquel il est issu. De ce fait, il n’est pas anodin, pour chaque
sujet aussi bien les dires qui, le précédant, ont creusé la
place où il allait loger, où il allait être accueillit, que les
dits qui ont célébré ou pas son arrivé, prenant la force de
l’oracle.
En
conséquence le courant des dits et du dire a traversée le corps
comme l’eau d’une rivière, laissant à son passage des restes,
des débris, des bouts de choses entendues. Des bouts de choses
entendues, des choses dites, qui ont marqué le corps d’une façon
ou d’une autre, laissant des traces. Des traces d’amour, des
traces d’accueil, des traces de désir, ou des traces de rejet.
La
langue laisse des traces, et pour cela la langue nous affecte,
produisant des effets sur le corps du sujet parlant, c’est une
proposition que nous tenons de l’enseignement de Lacan. Or, ces
effets, qui sont des affects, ces traces, cristalliseront comme
symptômes, à titre de traces de jouissance.
C’est le «moterialisme» du langage, (selon l’expression
de Lacan qui conjoint «matérialisme» et «mots») qui nous prend à
la naissance, et même dès avant. Il faut dire que le langage
s’empare du corps du vivant et qu’il introduit par là une
opération qui n’est pas sans conséquences sur sa jouissance .
C’est-à-dire que le langage va séparer, dans ce vivant, la chair
et le corps. De ce fait la chair marquée par le langage, devient
corps.
Cette opération du langage n’est rien d’autre que l’opération de
castration et comporte pour tout vivant, une perte de
jouissance, de sa jouissance de vivant. Ainsi, c’est le langage
qui fait passer le registre du besoin du côté du registre de la
demande et du désir. De ce fait, manger, ça ne sera plus du tout
manger. Manger, ça sera aussi demander de l’amour. L’objet qu’on
mange, ce n’est pas tellement celui qui satisfait le besoin,
mais plutôt celui qui est demandé comme signe d’amour de
l’autre. C’est-à-dire que tout objet ne sera plus un objet du
pur besoin. Le langage transmute l’objet du besoin en objet
paré, habillé par le semblant, provenant du symbolique, dans la
mesure où cet objet aura la valeur non seulement d’un objet de
satisfaction du besoin, mais d’un objet qui est signe, aussi
bien de l’amour de la mère que de son désir.
Nous
pouvons écrire l’opération de perte de jouissance introduite par
le langage dans le vivant, à partir d’un mathème produit par
Jacques Alain Miller:
Dans ce mathème une
barre sépare le registre de la jouissance dont l’écriture sous
la barre se fait à travers la lettre J barrée, et le registre du
langage, sur la barre, sous les espèces de ce que nous écrivons,
à partir de Lacan, comme le lieu de l’Autre, avec un grand A. En
conséquence, l’Autre introduit dans la jouissance une perte que
nous signifions par la barre, laquelle vient frapper la
jouissance, et de cette frappe résulte une perte de jouissance,
c’est ce que j’ai écrit comme un petit moins entre parenthèses,
un moins de jouissance.
Ce
moins de jouissance caractérise pour les êtres parlants, un
manque à jouir. Mais à qui la faute de cette perte de
jouissance? On croyait que c’était la faute au père. On a
longtemps cru que c’était le père qui interdisait la jouissance.
Lacan rectifie ce mythe du père qui interdit, mettant en avant
que le père est aussi interdit que nous. Puisque le père, au
fond, n’est qu’une conséquence du langage. Dans ces conditions,
c’est le langage lui-même qui morcelle la jouissance, qui nous
sépare d’une jouissance soit disant «originaire», laquelle est à
jamais perdue. De cette considération se déduit que l’objet est
perdu à jamais, et c’est sa perte qui orientera la quête de
l’objet du désir.
Désormais, ce qui fait le cadre de notre réalité sera orientée
par le principe de recherche de ce qui a été perdu. Mais si
l’objet n’ etait pas un objet perdu, il n’existerait pas comme
objet du désir. Il faut d’abord le perdre pour ensuite le
désirer, c’est la leçon que nous tenons de Freud. Que peut-on
récupérer dès lors qu’on a subit cette opération qui introduit
l’effet de perte au niveau de la jouissance? Ce que l’on
récupère c’est une conséquence de la perte en termes d’un petit
plus, d’un plus-de-jouir, selon le mode dont Lacan
définit l’objet qui, chez Freud, caractérisait la satisfaction
pulsionnelle. Cet objet qui se décline dans le registre oral,
dans le registre anal, dans le registre du regard et de la voix,
cet objet qui est corrélé à une zone érogène du corps et qui,
dans la logique lacanienne s’écrit “objet petit a», vient
combler le creux causé par la perte:
Alors, cette perte de jouissance, qu’est-ce que c’est? C’est ce
qui, dans la psychanalyse reçoit le nom de “castration”,
caractérisée depuis Lacan comme étant une perte de jouissance
introduite par le langage dans le vivant. Cette perte s’inscrit
à la place du «moins» comme moins phi.
Par
voie de conséquence le corps en tant que tel, s’inscrit dans la
suite des conséquences de l’opération de la castration .Un corps
séparé de la jouissance du vivant, dès lors qu’il est mortifié
par les incidences du symbolique, devient le lieu de
l’inscription du trait d’identification, grâce auquel le corps
compte comme Un, porte un nom et relève d’un sexe. Ce qui veut
dire que l’identité sexuelle identificatrice du corps ne relève
pas du tout de l’anatomie. Rien n’empêche qu’un corps d’homme
puisse se prendre pour un femme, et vice-versa. Ce qui veut dire
que l’identité sexuelle du corps relève du registre symbolique
et pas anatomique ni biologique.
Mais
alors, la jouissance, c’est quoi? C’est une satisfaction. C’est
une satisfaction qui ne comporte pas nécessairement le
bien-être. Parce que la satisfaction qui comporte le bien-être,
c’est plutôt celle qui s’inscrit au niveau du principe de
plaisir. Freud a déduit, à partir de l’expérience analytique
que, qu’il y a une satisfaction au-delà du principe du plaisir.
C’est-à-dire qu’il y a une satisfaction dans ce qui fait mal et
dans le mal. Et cette satisfaction au-delà du plaisir, cette
satisfaction qui peut être douloureuse, est celle que nous
reconnaissons à partir de Lacan, sous le terme de jouissance,
lequel conjoint les deux registres, celui du plaisir et celui de
son au-delà.
Néanmoins dans le registre de la jouissance on peut identifier
des jouissances, multiples. Cependant chacune a sa propre
logique. D’abord, on peut distinguer la jouissance du corps,
celle qui est permise au corps , par le seul fait «qu’un corps,
cela se jouit», selon l’expression de Lacan. Rien que de
disposer de lui, de le trimballer, de le traiter comme un
meuble, de le soumettre à des contraintes pas forcément
plaisantes; de le gaver, de l’affamer, de l’exténuer, de le
fatiguer, ou bien de le pomponner aussi ; de l’aimer, de le
mépriser, de le détester bref, toutes passions qui témoignent
qu’on passe son temps à jouir de lui.
Et
puis, il y a aussi la jouissance de la parole. On parle, et ça
donne une satisfaction. Ça fait... on dit “ça fait du bien de
parler”. Bon, pas toujours, pas forcément. Est-ce que, quand on
parle, on communique? Rien n’est moins sûr! Ce qui domine, au
niveau de la parole, c’est le malentendu. Mais lorsqu’on parle,
on jouit, ça c’est sûr. La thèse de Lacan la dessus, avancée
notamment lors de son dernier enseignement, est que la parole ne
sert pas à communiquer, qu’elle sert à jouir, «là ou ça parle,
ça jouit». Et c’est par ailleurs pour cela qu’on ne communique
pas beaucoup, parce que dans la parole s’accomplit aussi quelque
chose de l’ordre d’un autisme de la parole. Chacun parle, pour
s’entendre soi-même. Entendre ce que l’autre veut dire, relève
d’une discipline, c’est un résultat, auquel on aboutit grâce à
une expérience analytique.
Puis
il y la jouissance sexuelle. En quoi consiste la jouissance
sexuelle? C’est quelque chose de très compliqué. Comment se
fait-il qu’il y ait deux corps qui se mettent ensemble, pour
jouir l’un de l’autre? L’idée de Lacan c’est qu’un corps ne
jouit pas d’un autre corps. D’abord, on jouit du corps propre,
et un corps pour satisfaire à des fins sexuelles, peut jouir
d’une partie du corps de l’autre. Pas de la totalité d’un autre
corps. À moins qu’on le mette en morceaux. Ce qui n’est pas
toujours le cas, heureusement! On jouit d’une partie du corps de
l’autre, mais il paraît que la partie dont on jouit, elle jouit
aussi. Il est sensible que lors de l’étreinte sexuelle deux
corps qui se trouvent réunis, ne peuvent jamais faire un seul.
C’est le mythe d’Aristophane[i].
Il est impossible que deux corps sexués fassent un seul corps.
Cependant l’amour aspire à faire Un de deux, recouvrant par
cette aspiration, l’impossible en jeu.
Il
est dès lors sensible que l’on touche par là à ce qui fait
impossible au niveau du sexuel. Par ailleurs il y a une
différence de nature entre les jouissances sexuées, puisque les
hommes et les femmes ne jouissent pas pareil. Ce qui nous amène
à introduire ce que Lacan spécifie en termes de la logique de la
sexuation.
C’est-à-dire qu’il y a les hommes, et il y a les femmes – c’est
grâce à ça que le monde peut continuer à se reproduire – mais,
depuis qu’il y a des hommes et qu’il y a des femmes, ça ne va
pas entre eux. Et néanmoins, ça continue. Donc, il y a là un
truc.
Alors, reprenons les choses et disons qu’il y a des positions
subjectives qui se distinguent en tant que position subjective
masculine et position subjective féminine et que chacune de ces
positions distinctes s’accorde à une logique sexuelle différente
et opposée. Néanmoins, ces positions subjectives, masculine et
féminine , sont une conséquence, un résultat de ce qui se
produit lors de l’enfance pour chaque sujet. C’est-à-dire que
chaque enfant doit cheminer tout au long de l’enfance, chaque
enfant doit faire un bon bout de chemin pour aboutir à une
identification sexuelle. Ce bout de chemin consiste dans un
parcours qui comprend une série d’étapes, de temps logiques. Des
temps logiques, c’est-à-dire des temps où il est nécessaire de
parcourir l’instant de voir, le temps pour comprendre, pour
parvenir au moment de conclure sur une position sexuée. Ce
cheminement a reçu chez Freud le nom de complexe d’Œdipe et
chaque enfant qui aurait la chance d’accomplir cette traversée
qui n’est pas accessible à tous, se positionne en tant que sujet
par rapport à la mère et au père. Le rapport au père et à la
mère est pris ici en termes d’un rapport à leur désir en tant
que homme et femme, ce qui n’est pas sans comporter la mise en
jeu de leur position jouissante et de leur position aimante. Du
rapport à ces termes en jeu, l’enfant va conclure sur une
identification masculine ou féminine. Arrivant au bout de cette
ponctuation, l’enfant aura fait un choix concernant sa
sexuation. Ce choix comporte nécessairement une prise de
position qui consiste à opter pour un des deux termes d’un
binaire : homme ou femme. Or, ce choix exclusif, repose sur une
dissymétrie des termes par rapport à la fonction qui détermine
la distinction de deux places.
Quel
est la fonction en question? C’est celle qui a été élaboré par
Freud sous le nom de complexe de castration. Selon Freud,
l’efficace du complexe de castration trouve son point de départ
chez l’enfant lors d’une expérience de perception, dont
l’efficace se mesure dans la prise en compte de la différence
anatomique des sexes. Lors de cette expérience, l’enfant
subjective la différence qui consiste en ce qu’il y a des corps
lesquels sont pourvus d’un attribut, et d’autres corps qui sont
en revanche, dépourvus de cet attribut.
En
effet, suivant Lacan nous pouvons dire que c’est le langage qui
introduit la possibilité d’accéder à cette distinction
différentielle, laquelle serait impossible en dehors de ses
coordonnées. Ainsi le langage opère cette distinction symbolique
à partir des attributs imaginaires, relatifs à la forme du
corps. En conséquence, d’après Freud, cela devient une affaire
cruciale pour les petits enfants, la classification entre ceux
qui en ont et ceux qui n’en ont pas. Au point que ça peut leur
foutre une trouille terrible, à un moment donné de l’enfance, le
fait de constater qu’il y en a qui n’en ont pas, et tout
particulièrement chez les petits garçons dans la mesure où s’il
y en a qui n’en ont pas, il se peut qu’à eux aussi, ça leur
arrive la chose, comme dit Freud. Donc, ce trait de manque,
l’inscription du manque, ne pourrait pas opérer sur l’imaginaire
du corps si l’on ne disposait pas du symbole du manque comme
tel.
Le
manque, catégorie fondamentale introduite par le symbolique dans
le réel, est un manque qui compte. L’inscription de ce qui
manque, de ce qui manque à sa place, est un moment de haute
élaboration symbolique, laquelle est déterminante du
positionnement de l’enfant à l’égard d’une position sexuelle. Je
me rappelle d’une petite anecdote. Une petite fille qui avait
deux ans et demi, était allée avec sa mère visiter un bébé, qui
venait de naître. Elle était ravie de voir un tout petit bébé,
un petit garçon. Au cours de la visite la mère du petit garçon a
changé les couches du bébé et la petite fille, qui jusqu’alors
n’avait pas donné des signes d’intérêt par rapport à la
différence des sexes, regardant le corps nu du bébé reste
perplexe, accusant vraiment le coup de la chose, et dit: “Ah
oui, mais moi, j’ai des dents”. C’était saisissant car il était
sensible qu’ elle avait accusé réception, qu’ elle avait inscrit
la différence sexuelle, qu’elle avait subjectivé le manque, et
tout de suite après avait réagit, se précipitant pour conclure
en inscrivant la place du manque pour la faire passer du côté du
petit bébé qui n’avait pas de dents.
Mais, s’il y a disharmonie entre hommes et femmes, ce n’est pas
seulement du fait de la différence sexuelle en tant que
différence anatomique inscriptible au niveau symbolique. Cette
dysharmonie relève de quelque chose de beaucoup plus réel. Là je
vais avancer devant vous un concept qui nécessite quand même de
prendre quelques précautions pour qu’il soit bien reçu. Je vous
dis d’abord que les êtres parlants, se distinguent comme des
hommes, et comme des femmes. Les êtres parlants ce sont des
êtres qui ne tiennent leur être que du langage et se trouvent
déterminés par un savoir qu’ils ne savent pas et qui relève de
l’inconscient.
Au
niveau de l’inconscient, comment s’inscrit la sexualité? Un des
premiers abords de la découverte freudienne à été de mettre en
évidence que l’inconscient parle de sexe , dès lors qu’il
s’avère qu’ il y a du sens sexuel dans l’inconscient. Mais Lacan
, faisant un pas de plus, pas qu’il tient de ce qui lui apprend
l’expérience analytique, et ajoute en conséquence que le sens
sexuel ce n’est pas le dernier mot de l’inconscient.
Au
fond, s’il y a du sens sexuel dans l’inconscient c’est parce que
l’inconscient consiste dans un savoir-faire avec la lalangue.
Et ce que la langue sait faire nous échappe de loin, d’après
Lacan. En revanche, si on se soumet à une analyse, on peut
arriver à savoir un bout, mais jamais tout. Alors, dans
l’inconscient, bien sûr, il y a un savoir articulé, lequel
serait , d’après Lacan, de l’ordre de l’élucubration de savoir
sur la lalangue.
En
effet, ce savoir qui s’avère savoir de l’inconscient, il peut
quand même dire des choses sexuelles. Oui, dans la mesure où
l’on rêve. Et on rêve parce qu’on parle. On rêve parce qu’on est
dans le langage. Et alors, le sens sexuel de l’inconscient fait
partie du rêve. Or, l’inconscient, qui s’amuse à faire des
calembours, des jeux de mots, à travers les formations qu’il
nous livre, telles que les rêves, les lapsus, les Witz,
l’inconscient qui est vraiment comique, l’inconscient que,
lorsqu’on le déchiffre, il s’avère qu’il n’est pas pathétique,
qu’il est plutôt rigolo! Or, l’inconscient , qui peut chiffrer
tout ce qu’il veut, qui peut chiffrer des symptômes, des rêves
et de tas des formations de l’inconscient, il y a quelque chose
qu’il n’arrive pas à chiffrer, et qu’il n’arrivera jamais, c’est
de nous donner le chiffre: le vrai de vrai de chiffre du rapport
entre l’homme et la femme. Si dans cet inconscient, il y a du
savoir et à la pelle, dans l’inconscient il n’y a pas de savoir
sur le rapport entre les sexes. C’est pour ça qu’on est bêtes,
sexuellement parlant. On ne sait pas faire, on rate, on souffre
en plus, on en pâtit, on en bave, parce que dans l’inconscient,
il n’y a pas d’écriture du rapport sexuel. Ce qui se traduit,
dans la logique de Lacan, par l’impossible, en tant que le
chiffre du rapport sexuel ne cesse pas de ne pas s’écrire. Ce
réel caractérise l’impasse d’écriture dans le sexuel, du fait
qu’ il n’y a pas de rapport sexuel . C’est-à-dire qu’il n’y a
pas de savoir inscrit, dans l’inconscient , sur les rapports
entre les sexes, qui puisse ce correspondre à un savoir-faire
instinctuel.
En
conséquence, c’est sur ce rapport impossible qui repose
l’impasse majeure de la sexualité chez les parlêtres. Il se
déduit dès lors qu’on est tous malades de cet impossible. Aussi
, à cause de cet impossible-là, on fait comme on peut.
C’est-à-dire, on fait comment? Qu’est-ce qu’on fait? Eh bien, on
se rencontre. Il y a des rencontres sexuées entre parlêtres, ce
qui veut dire que face à l’impossible il s’impose à eux d’être
assujettis au régime de la contingence. Entre les êtres sexués,
entre les corps sexués, il y a des rencontres sexuées. Pas
forcément entre les corps sexués des différents sexes, il y a
aussi des rencontres sexuées entre des corps du même sexe. Mais
ça ne veut pas dire que, parce qu’ils sont du même sexe, qu’il y
a du rapport sexuel. L’impossible de structure s’inscrit pour
les deux cas de figure, pour la rencontre hétérosexuelle aussi
bien que pour la rencontre homosexuelle.
En
conséquence, d’après Lacan, si l’inconscient parle de sexe, si
les rêves parlent de sexe,si les symptômes parlent de sexe, si
les lapsus parlent de sexe, au fond, ils parlent et parlent de
sexe pour combler la béance de l’impossible du rapportsexuel.
Ceci étant dit, il s’avère que le sens sexuel, c’est ce qui
vient à la place du hors-sens du sexe en tant que réel, du fait
de l’impossible écriture du rapport qu’il n’y a pas.
Les
rencontres, contingentes, dès lors qu’elles plongent leur racine
dans l’impossible, s’avèrent être non pas des rencontres qui
s’accomplissent dans le registre de la communication, mais plus
tôt dans le registre du malentendu, car la plus part du temps
elles sont faites de la rencontre des malentendants. Cela tient
au fait que les rencontres, ce sont des rencontres de deux qui
ne s’entendent pas parler, selon l’expression de Lacan. Les deux
qui se rencontrent, plus ils parleront, plus ils vont
approfondir le malentendu , à cause notamment du malentendu des
jouis-sens, qui les disjoint.
Alors, qu’est-ce que c’est qu’un partenaire sexuel, peut-on se
demander? Un partenaire sexuel, c’est ce qu’on rencontre à
partir d’une contingence, mais l’expérience d’une analyse nous
apprend qu’une rencontre comporte l’ éveil de ce dont on avait
déjà rêvé. Cela veut dire que la rencontre avec le partenaire
sexué est une rencontre où le hasard joue la partie avec des dés
qui sont pipés. Si le hasard conjoint la nécessité sous le
versant de la répétition, cela provient, d’après Freud, du fait
que pour chaque sujet le choix d’objet se fait très précocement.
Pourquoi un’homme rencontre-t-il telle femme? Par hasard! Mais
il ne rencontre pas n’importe laquelle , il rencontrera, dit
Lacan, que celle qui consonne avec son inconscient et sa
pulsion. Pour cette raison, ajoute Lacan, un homme ne peut pas
rencontrer toutes les femmes.
Eh
bien, c’est comme ça, la vie amoureuse! C’est-à-dire que pour
l’homme, il faut que la femme porte en elle un petit quelque
chose, un détail, qui la fétichise, en fonction de quoi elle
devient un objet qui condense pour lui une condition d’amour
laquelle est condition de désir et condition de jouissance. En
conséquence, du côté masculin c’est en tant que fétiche que le
partenaire féminin est pris comme objet de jouissance, comme
objet petit a, plus-de-jouir. Et dès lors que l’homme jouit, il
se passe des paroles d’amour. Ce n’est pas la parole d’amour qui
le fait jouir ou désirer. Il se suffit de sa jouissance, dit
Lacan. Un homme jouit d’une femme à titre de fétiche, et à
travers elle il jouit de son inconscient. A ce titre une femme
peut être pour un homme, son symptôme.
En
revanche, pour une femme, la jouissance ne va pas du tout sans
la parole d’amour. C’est une condition de sa jouissance à elle.
Alors la condition d’amour à titre de parole d’amour est
dominante, chez elle. Ce qui fait que si la condition d’amour
est dominante, pour elle, ce qui compte, c’est qu’on lui donne à
partir de ce qu’on n’a pas, ce qui suppose la castration de
celui qui l’aime.Une femme ne peut pas désirer un objet fétiche,
parce que le fétiche ne parle pas. Pour elle, c’est important
que l’objet lui parle. Et qu’il la laisse parler. C’est pourquoi
l’amour du côté féminin coordonne la question de la sexualité
fondamentalement du côté du manque et fondamentalement du côté
du grand Autre barré, qui est l’Autre de l’amour. Dans ces
conditions sa jouissance à elle s’inscrit du côté de l’illimité,
ce qui comporte le sans limite de la demande d’amour et le sans
limite de la souffrance d’amour. Ainsi, pour elle, un homme peut
être un ravage.
L’expérience d’une analyse permet de cerner la cause de ce qui
dans la sexualité fait impasse, prenant la forme soit de
l’impuissance, soit de l’inhibition ou bien de l’angoisse Or,
quelque soit la manifestation symptomatique qui s’impose au
niveau sexuel, elle s’avère, au fond, commandé secrètement par
l’impossibilité qui provient du réel.
Or,
qu’il y ait du réel, voire de l’impossible, ne veut pas dire que
la psychanalyse nous oriente vers l’acceptation résignée de ce
dont on pâtit à titre de symptôme, d’angoisse et d’inhibition.
L’expérience d’une analyse est efficace sur les trois registres,
dans la mesure où elle permet de surmonter l’angoisse, de se
défaire de l’inhibition, de s’alléger du symptôme, de la
souffrance du symptôme, dès lors qu’elle livre le chiffre du
symptôme.
Néanmoins l’expérience analytique ne comporte jamais de
traverser l’impossible du rapport sexuel. La psychanalyse n’est
pas en mesure de vous offrir une formule du rapport sexuel qui
n’existe pas. Mais à déchiffrer les impasses propres et
singulières à chacun , elle ouvre la voie pour cerner
l’impossible de structure et sortir de la jouissance de
l’impasse concernant la sexualité. Arrivant à ce point
l’expérience analytique ouvre au sujet la voie du possible,
celle qui consiste dans la possibilité d’inventer, pour chaque
sujet, des solutions nouvelles , face aux impasses de la
sexualité.
Or,
inventer des solutions nouvelles, ça ne veut pas dire inventer
des nouvelles perversions. L’invention vers laquelle ouvre la
psychanalyse, relève de la trouvaille, du nouveau, du côté de
l’amour, et pas du côté de la perversion.
Ouvrir vers le champ de la trouvaille du côté de l’amour, ne
comporte pas non plus comme solution de dépasser le choix
d’objet qui a été fait au moment de l’enfance, mais d’accéder à
un savoir y faire autrement avec ça. Faire autrement,
c’est-à-dire de moins s’embrouiller avec le réel en jeu . C’est
donc à cause de l’impossible qu’on est tous des embrouillés avec
le réel du sexuel. Et au fond, l’invention de la psychanalyse
est une invention qui permet de sortir de l’enfermement dans
lequel on est, même quand on croit qu’on est pas seul parce
qu’on fait couple.
Les
êtres parlants pâtissent de la jouissance de l’Un, voire de l’
autisme de la jouissance, qui leur sert de défense face à
l’impossibilité de la jouissance de l’Autre. La psychanalyse
offre la possibilité d’être moins prisonnier de la jouissance de
l’Un et d’admettre non pas la jouissance de l’Autre, qui
n’existe pas, mais la jouissance Autre. La jouissance Autre
c’est la jouissance féminine. Même pour une femme, ce n’est pas
évident d’accepter cette jouissance Autre. C’est-à-dire que pour
une femme, assumer sa position de femme, sa jouissance féminine,
peut nécessiter au préalable d’accomplir un long parcours, afin
qu’elle puisse s’accepter comme étant Autre pour elle-même.
Et
pour un homme, accepter cette jouissance Autre, qui se
caractérise de n’être pas toute phallique, ce qui comporte de ne
pas se sentir menacé par cette jouissance qui ne s’inscrit
pas-toute dans le Un phallique, et ne pas faire de cette
jouissance la cause de son angoisse, et ne pas faire de cette
jouissance Autre le noyau de sa haine. En effet, ce qui cesse de
ne pas s’écrire pour un homme qui a suivit jusqu’au bout une
expérience analytique, à titre de possible, relève de
l’admission qui est de l’ordre de l’amour. Dans ce cas, ils
témoignent dans la passe, qu’ils ont pu conjoindre leur
jouissance sexuelle à la parole d’amour et à la lettre d’amour,
et de ce fait ils ne se trouvent plus pétrifiés par la
jouissance qui se cantonne dans la parenthèse du fantasme.
Alors dans ces cas-là, on peut dire qu’une analyse peut faire
sortir un petit peu les hommes de leur position de mâles, mâles
dans le sens où Lacan définit le mâle, comme étant celui qui est
dans le registre du pervers polymorphe.
Alors, faire cheminer les hommes du côté de l’amour, je pense
que ce n’est pas une si mauvaise solution!
Références bibliografiques
[1]
Platon. Le banquet. Paris: Garnier Flammarion, p. 48.
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